LA VIE D'UN HOMME, MAURICE CHAUDRON,

NE EN 1918 - MORT EN 2003

 

 

L'ENFANCE DE MAURICE

 

C'était le mois de Marie, le plus beau mois de l'année, les pommiers étaient en fleurs, les oiseaux chantaient et l'herbe avait ce vert 
tendre qu'on ne voit qu'au début du mois de mai, c'est le dix de ce mois que Marie mis au monde un garçon qu'elle appela Maurice.

Marie et Victor avaient déjà eut trois enfants, Eugène Robert qui avait déjà 16 ans, Victorine Marie et Alice qui avaient 
respectivement 12 et 10 ans.

Le famille était dans la vallée de la Plaine et bien que le temps fut magnifique, elle aurait aimé être à la maison, à vingt kilomètres de 
là, à La Chapelle, petit village de Moyenmoutier, mais là-bas c'était le front, les troupes françaises voyaient les soldats Allemands à 
quelques centaines de mètres. En 1914, les Allemands avaient traversé le village et maintenant c'était les Français qui l'occupaient. 
Mais un soldat est un soldat quelque soit son uniforme. Au bord de la Plaine, la famille Chaudron, les parents et les quatre enfants 
pensaient souvent à petit village, à leur petite ferme, à leurs champs, à leurs animaux. Les reverraient-ils un jour ? Dans quel état ?

Maurice avait à peine trois mois lorsqu'il devint orphelin, il ne connaîtra jamais son père. 
L'été passa sombre, puis en automne la guerre prit fin, le 11 novembre, les cloches dans toute la France sonnèrent, c'était la fin de 
la guerre.

Marie, accompagnée de ses quatre enfants revint au village, savait-elle ce qui l'attendait ? Peut être : c'était un spectacle de 
désolation qui s'offrit à ses yeux. La maison avait beaucoup souffert. Des volutes de fumées sortaient encore des fenêtres, le toit 
s'était effondré. 
Des casques de soldats jonchaient le sol et partout dans les prés et les bois, des fils barbelés, des bouts de ferraille et aussi des 
tranchées dans lesquelles on pouvait voir un membre ou les restes d'un soldat, que d'autres ramasseraient plus tard pour 
les rassembler au cimetière de Fortenelle.
Quant aux animaux, ils avaient tous disparus, sans doute mangés par les soldats.

Il fallait tout recommencer, reconstruire, nettoyer, vivre. A 39 ans Marie avait du courage, il ne fallait pas se laisser abattre. 
D'autres avaient eut encore moins de chance. Si elle n'avait plus de mari, elle avait des enfants.  Les plus grands iraient travailler 
dans les filatures avec elle, les tissages, les usines de la vallée du Rabodeau manquaient de bras et ils embauchaient. Le travail était 
dur, sale et monotone, mais à la fin de la semaine il y avait la paye. 
Les premières servirent pour une vache et quelques poules. Après l'usine, le travail continuait, faire des fagots dans les bois, 
cueillir des mures, des "brimbelles", des champignons, des pissenlits enfin tout ce que la nature donnait gracieusement suivant la 
saison.
Au marché de Senones ils pouvaient gagner quelques francs en vendant des oeufs et du beurre, les fagots étaient vendus aux 
charcutiers. 
Il lui en a fallu à Marie pour acheter les bêtes, pour reconstituer le mobilier et la literie qui avaient disparus pendant 
la guerre. Marie emprunta de l'argent pour la réfection de la maison, les usines payaient mal, et il lui était difficile de trouver 
l'argent 
pour payer les traites qui arrivaient en fin de mois.
La première année avait été la plus dure, le linge, les draps, les lits tout avait disparu ou brûlé, aussi on dormait dans le foin et la 
paille. L'eau coulait à la fontaine à une centaines de mètres de la ferme, et à la lumière des fagots qui brûlaient dans la cheminée on 
pouvait le soir s'éclairer dans la cuisine, et la journée pouvait enfin se terminer.

L'électricité n'était pas arrivée dans le village, et bien entendu on ne savait pas ce qu'étaient la radio, le téléphone et bien sur la 
machine à laver le linge.

On ne peut pas dire que la famille avait faim, on retirait quelques pommes du "toyon" pour les cochons, on faisait un peu de salade du 
jardin, un oeuf sur le plat et le tour était joué...

Le travail attendait, nettoyer l'étable ou les lapins, faucher de l'herbe, faire du bois, le casser, le rentrer, faire du beurre, 
remettre une pièce à un pantalon, les journées de travail étaient longues et le soir, personne n'avait besoin de chandelle pour trouver 
le lit. 
Bien entendu, on ne savait ce qu'était un week-end, un jour de repos ou des vacances.

Comme je l'ai déjà dit, Maurice était orphelin de père, mais chaque homme du village était un peu un père, les plus respectés étaient 
ceux qui avaient fait la guerre, ils avaient vu du pays et des pays aux noms étranges comme Dardanelles, Balkan... Et les anciens soldats
racontaient sur le banc devant la maison des histoires de guerre devant des enfants tout ébahis. Les mots revenaient comme une 
litanie :
la Marne, la Somme, le Chemin de Dames, Verdun surtout. Beaucoup y avaient laissé un membre, un oeil, et presque tous avaient eu 
d'affreuses blessures, à cause dus gaz, ils crachaient beaucoup, mais ils étaient des Hommes, ils avaient fait la Guerre.

Maurice regardait comment les hommes travaillaient, l'un savait greffer un arbre, l'autre casser du bois, un autre rebattre une faux, 
un autre encore faire des paniers, il ne posait pas de question, cela ne se faisait pas, les hommes étaient souvent des "taiseux" mais ils
acceptaient qu'on les regarde faire, et Maurice apprenait. Et seul, il essayait après de faire ce qu'il avait vu faire. Bien sur les 
débuts étaient laborieux, les résultats insatisfaisants, et les anciens se moquaient du gosse de la Marie Muhr. Mais il ne renoncait pas
et peu à peu il s'améliorait. Dès ses premières années il avait appris à courir dans les bois et les prés. Et là, il trouvait ce dont il 
avait besoin. Trouvait-il un fil de fer ? il le ramassait, ça pouvait servir à réparer le grillage d'une caisse à lapin, on rafistolait 
ça et la "bestiole" ne pouvait plus se sauver. 

La guerre avait laissée tant de choses ! Une douille trouvée servait à maintenir le manche de la hache. 
Un casque et hop cela devenait une "stross", grosse louche pour arroser les tomates, un pot de chambre, ou pour vider le cuveau
des chiottes ou la cuve à purin. Si le colonel avait vu à quoi servait son casque !!! 
Une corne trouvée servait de "boutreuille" pour mettre la pierre à aiguiser la faux, un bout de fer à attacher les tomates, une plaque 
d'aluminium à fermer un trou par où passaient les souris. Pas une fois, de ses ballades en forêt, il ne revenait les poches vides, bien 
entendu, portant sur son épaule une bûche ou quelques morceaux de bois qui allaient servir à alimenter le feu dans la cheminée. Tout 
joyeux il revenait à la maison racontant à sa mère qu'il avait trouvé cela à la Trépouille, ceci dans le Han des Boeufs ou à la 
Martinipré. Revenant de ses balades, alors il passait devant chez les Daddés et les Séraphins, il avait aperçu le Tintin, le Minaille 
ou le Colas. Tous les gens du village ayant à cette époque un sobriquet qui venait soit de leurs métiers, de leur taille ou de leur famille.

Dans le village le soir, cependant, on faisait "curoille". Les gens s'observaient, s'épiaient ou se moquaient les uns les autres. On se 
jalousait : de quelle maison la fumée sortait le plus tôt dans la cheminée, le matin ? Qui rentrait le foin le plus tard dans l'année ? 
Mais on s'admirait aussi. C'était le meilleur faucheur du village, l'autre faisait la meilleure goutte ou les meilleurs beignets. Bref, 
c'était une véritable famille avec ses conflits, mais aussi avec ses petits bonheurs, et on se connaissait depuis toujours. Chacun 
connaissait sa place au sein de ce village et tous étaient respectés.


LA JEUNESSE DE MAURICE

Dans les années 1920, aller à l'école, c'était aller dans l'école du village. Toutes les classes y étaient rassemblées, de la maternelle 
aux 
classe préparatoire au certificat. D'ailleurs, seuls les bons candidats pouvaient s'y présenter et ceci à l'âge de 11 ans.
C'était devant la maison que Maurice apprenait à lire, à compter et à écrire, cela lui servit toute sa vie et à 84 ans il n'avait rien 
oublié de ce qu'il avait appris. Et jusqu'au bout de sa vie la lecture du journal était son activité préférée, il comptait aussi vite 
qu'une 
machine à calculer et ne faisait aucune faute dans ses rares correspondances.

Le maître, c'est ainsi qu'on nommait les instituteurs, s'appelait Monsieur Sagard, il habitait au-dessus de l'école. Dans ses mains il 
avait une grande règle qui lui servait de bâton, si un enfant oubliait de le saluer, de se découvrir en entrant, ou en retard l'élève 
était frappé durement. Tout manque de respect était noté et sanctionné, le maître était craint et obéi.
Toute sa vie Maurice savait l'heure qu'il était et le moindre retard lui causait de grandes peurs, il ne pouvait imaginer qu'on puisse
ne pas être à l'heure. Quatre vingt ans plus tard, l'ombre du père Sagard était toujours présente.
Monsieur Sagard ne devait pas seulement faire travailler les enfants, il devait chauffer l'école avec le bois que les enfants apportait.
Il était mal payé, mais était logé gratuitement, avait quelques chèvres pour avoir du lait.

Si en hiver l'enfant pouvait se rendre à l'école régulièrement, il n'en était pas de même en été. Il fallait faner le foin, racler 
derrière
les voitures de foin avec la galère. Les enfants étaient sur la "teusse" et bourraient le foin sous les tuiles. La place était rare, chaque
centimètre comptait. Dans le grenier, les enfants avec leur petite taille étaient fort utiles. Ils ne se couchaient guère, par beau 
temps avant une heure du matin, après s'être tous désaltérés à la fontaine. Et tous étaient contents de se laver la peau attaquée par le 
foin. Dès quatre heures les faucheurs se levaient pour profiter de la rosée. Les nuits étaient bien courtes.
Si les "riches" avaient des boeufs, les pauvres devaient atteler des vaches et ne pouvaient pas trop les charger, car sinon elles 
n'auraient plus donner de lait, souvent seule ressource du paysan.
Le père Sagard, lui aussi faisait la fenaison et acceptait bon gré mal gré que les enfants n'aillent pas à l'école. Il avait la peur au
ventre que ses élèves envoyés au certificat, ne soient recalés avec cinq fautes d'orthographe. Il y mettait tout son honneur et 
n'envoyait que les meilleurs. Malgré tous les travaux à la ferme, l'absence totale de confort, Maurice obtint son certificat et se 
classa troisième du canton. A son retour d'examen, pas de temps à perdre il y avait deux voitures de foin à faire, puis à décharger.

A 11 ans, l'école c'était fini, l'enfance aussi était terminée. Maurice savait faucher, rebattre une faux, mettre des brides à des 
sabots, greffer un arbre, traire une vache et faire du beurre. Bien entendu, il savait faire du feu à la maison mais aussi dans la forêt,
même avec vingt centimètres de neige. Il grimpait dans les arbres comme un écureuil pour aller cueillir des cerises, c'est tout en haut 
qu'elles sont les meilleures. 
Mais aussi grimper à 30 mètres, en haut d'un sapin pour aller dénicher des oiseaux. C'est ainsi qu'un jour il rapporta à la maison un 
jeune corbeau qui devint pour lui son meilleur ami. L'oiseau le suivait comme un petit chien. Maurice fut bouleversé lorsqu'un qu'un 
chasseur le tua devant lui. Il garda toute sa vie une vive amertume et sa rancoeur contre les chasseurs et les riches -il fallait l'être 
pour acheter un fusil-.

Pendant ses moments de liberté l'été, il allait cueillir des mûres et des framboises, en automne des champignons. En hiver, il faisait 
des petits fagots dans les bois, et au printemps il allait aux grenouilles ou aux écrevisses, cueillait du cresson.... Il connaissait les 
endroits, le rythme des saisons, il savait quand et où ramasser les cerises, les pommes tardives ou les noix. De temps en temps il allait 
le soir "rapiner" quelques fruits sur les arbres de ses voisins.

Dès le lever, le programme de la journée était fixé avec une grande précision, pas une minute n'était perdue. Pourtant il aimait cette 
vie-là, il se sentait libre et heureux. Mais Marie sa mère, avait besoin d'argent pour rembourser les emprunts. 
Il fallait aller à l'usine.
A Senones, à dix kilomètres de La Chapelle par la route, on embauchait dans une filature, ses notes étaient bonnes il fut accepté.
Là aussi, les enfants par leur petite taille étaient demandés. A quatre heures moins le quart, il se levait, prenait les petits sentiers 
dans
la forêt qu'il connaissait bien, et arrivait à l'usine à cinq heures. qu'il vente, qu'il neige, qu'il fasse - 20, il ne fut jamais en retard.
Dans la poussière, dans le bruit, dans la chaleur, il travaillait jusqu'à 13 heures, prenait sa petite musette où il avait mis son casse-
croute et remontait au village. Une tranche de lard, un oeuf et sa deuxième journée pouvait commencer. Elle dépendait des saisons, 
mais c'est en été qu'il y avait le plus de travail avec la fenaison et la moisson, en automne il faillait arracher les pommes de terre, 
au croc bien entendu et les conduire à la féculerie de Denipaire, quinze kilomètres de marche au pas du boeuf. 

Le dimanche il ne travaillait pas à la filature. Le matin il allait à la messe à l'église de Moyenmoutier. Les enfants du "blanchiment" 
raillaient les jeunes "péquenots" de La Chapelle. C'était souvent la bagarre avec marrons et jets de pierres. Les adolescents 
revenaient souvent en sang.
Il pouvait l'après midi jouer de temps en temps soit aux boules ou aux cartes. Seuls moments de repos de la semaine.
C'était l'époque du Front Populaire. Maurice était bien bâti, l'oeil coquin, bon danseur, il n'avait pas de mal à trouver de cavalière.

En 1928 l'électricité arriva au village, mais toutes les maisons n'ont pas été raccordées. On avait toujours vécu sans, pourquoi cela 
devait-il changer. Pourquoi payer ? Le soleil n'est-il pas là pendant la journée . Le feu dans la cheminée n'est-il pas suffisant pour se
voir et mettre sa fourchette dans la bouche ? Une bête retrouvait bien sa place pour se coucher et on n'était pas plus bête qu'elle 
quand même ! Maurice ne voyait pas d'un bon oeil cette introduction de la lumière. Ces lignes électriques qui défiguraient son
paysage, qui coupaient ses forêts, qui prenaient de la terre pour l'installation des pylônes cela ne lui plaisait pas. Pas plus que tous
ces gens qui arrivaient en cravates avec leurs plans et qui le "débecquaient". Ces étrangers au village qui regardaient de haut les
culs terreux. Jamais il ne les aimerait ces trop pays, ces inutiles et il leur montrait bien.

Il refusera toute sa vie de mettre son ceinturon dans les passants, signe pour lui de soumission, il resterait rebelle, réfractaire à sa 
manière à l'autorité. Un gavroche de la campagne, le béret de "traviole" sur la tête, il s'aimait ainsi. Il avait la vie pour lui, du 
travail pour ses soeurs, son frère et pour lui. Ainsi passèrent quelques années les plus belles de sa vie.

Il pensait connaître le temps, mais ne voyait pas les lourds nuages qui arrivaient...

LE TEMPS DES EPREUVES

En 1934 sa soeur Victorine meurt en couche.

En 1937, Maurice a 19 ans c'était un beau garçon, l'oeil polisson, vif et fort, il part faire son armée à Lunéville pour deux ans.
Comme je l'ai déjà dit il était fort, de taille moyenne, léger souple comme un chat, intelligent et instruit pour un gars de la campagne.
Pour être soldat 2ème classe, simple troufion, il n'était pas nécessaire d'avoir une agrégation de philosophie, d'être prix Nobel ou 
théologien. De bons pieds pour marcher, une bonne vue, une voix forte et quelques rudiments de lecture et d'écriture était amplement 
suffisant pour être incorporer dans l'armée française. 

Malheureusement pour Maurice, dans son village certains principes très utiles dans l'armée n'avaient pas été très bien enseignés ; 
par exemple "fermer sa gueule", faire des choses inutiles, ne pas critiquer une décision qui était stupide, porter un uniforme, mettre 
son ceinturon dans les passants... Tant de choses qui ne lui étaient pas familières.
Deux choses ont eu beaucoup de mal à passer.... le fusil, et les chevaux. A la ferme on a des boeufs, c'est moins nerveux, plus fiables
que ces "putains de canassons" comme il disait. Et à Lunéville, régiment de Cavalerie, c'est par cela que les soldats devaient 
commencer. 
Les animaux venaient d'Amérique et étaient encore à moitié sauvages. A lui donc, de le dresser, ou plutôt de le calmer et de 
l'apprivoiser. Dure tâche, mais ce fut fait.

Afin d'occuper le temps les gradés organisaient des courses dans le parc du château. Il faut dire qu'à Lunéville, ville de garnison, 
les plaisirs étaient plutôt rares.Les chevaux devaient être propres comme des sous neufs, harnachés, étrillés, les sabots briqués et 
cirés. Gare au soldat qui n'avait pas nettoyer correctement sous la queue de l'animal. Cela était considéré comme une offense à 
la France, pensez donc un régiment qui s'était distingué si brillamment au siège de Fez au Maroc en 1913, sous les ordres du 
Général Lyautey. Un seul, le sergent, avait survécu à la charge, bien que blessé grièvement il avait pu sauver le drapeau.
Le soldat lui aussi, devait être dans sa tenue d'apparat, rien ne devait manquer, les boutons briller, la fouragère reluire. L'inspection
était des plus sévères, le moindre manquement ou relachement y était durement réprimé. Une négligence, un oubli conduisait au "trou".
Au trou, il ne faisait pas chaud, et la soupe était encore plus mauvaise qu'à l'ordinaire si cela était possible. Mais là au moins on était 
tranquille.

Pour Maurice la course était quelque chose de pervers, il fallait avec son cheval sauter des obstacles les plus traître et les plus 
sournois possibles. Surtout que sur les gradins, les officiers quelques fois accompagnés de leur épouse, riaient à se tordre de voir 
les soldats tomber et courir après leur bête. Bien sur, Maurice comme les autres tombait dans la boue, et comme les autres il se 
relevait détrempé et comme les autres il devait courir après son cheval. Pas facile de rattraper en uniforme un animal qui a peur et 
qui n'écoute rien. 
Cela pouvait durer des heures. Puis fatigué, le cheval se laissait approcher et Maurice pouvait exténuer le reprendre en main et 
revenir à l'écurie comme les autres. Là le sergent l'accueillait avec une bordée d'injures. Incapable de maîtriser son animal, indigne du 
régiment où il avait l'honneur de servir, qu'avec un gars pareil la guerre était perdue d'avance, comment osait-il se présenter à leur 
sergent dans un tel état de saleté. Le soldat deuxième classe Chaudron Maurice était au garde à vous, se taisait en attendant qu'il 
finisse par se calmer avec une autre insulte et puis une dernière phrase : "vous avez encore des progrès à faire, nous 
recommencerons l'exercice, rompez ! ". Tête basse, l'oeil méchant, Maurice attachait son cheval, le lavait, le pansait, l'étrillait, 
grattait la boue qu'il avait dans ses sabots, les cirait, enfin nettoyé l'animal pouvait aller se reposer dans les boxes. Après un 
dernier "saloperie", ou un "putain de bestiole" et Maurice pouvait enfin aller s'occuper de lui. L'uniforme était en piteux état, 
comment le laver, le sècher, quoi mettre à la place ? Mais le "juteux" l'avait repéré, Maurice était une forte tête, et l'armée 
française en avait vu d'autres, elle se chargerait de le dresser, il sera mâter. Son "éducation" ne faisait que commencer. Il fallait 
en baver pour devenir soldat de l'armée.

Si Maurice avait les chevaux en grippe, s'il haïssait la hiérarchie, ses relations avec les autres soldats n'étaient pas des plus simples 
non plus. Beaucoup venaient des faubourgs de Paris, savaient lancer le couteau, étaient presque tous tatoués. De la vraie racaille pour 
Maurice, ces titis parisiens, il n'était pas des leurs. Pour eux, il était un boche de l'est, un bouseux, un péquenot qui n'avait jamais 
rien
vu si ce n'est le cul de ses vaches. Dans la chambrée où ils dormaient sur des lits superposés, les bagarres éclataient souvent. Une 
fois un polochon vola et éteignit la bougie qui éclairait la pièce. Dans le noir, les coups pleuvaient et avant l'arrivée du sergent qui 
stoppa tout le monde Maurice avait perdu deux dents. La faute fut mise sur lui, et la sanction sévère, une semaine au trou, cela ce 
n'était rien le pire pour lui fut la permission annulée, il ne pourrait pas retourner à La Chapelle où sa mère avait besoin.

En mars 1939 l'Allemagne nazie occupe la Tchécoslovaquie, la France mobilise, mais un accord est signé à Munich. Daladier a sauvé la
paix, les Français sautent de joie.

En 1939, il reçut une permission exceptionnelle son frère Eugène était mort en aout. Il avait été broyé entre deux wagons. L'armée 
savait quelques fois être généreuse et magnanime avec ses "pioux pioux". Une vraie mère, sévère quand il le faut mais au grand 
coeur. 
Pour l'enterrement Maurice portait l'uniforme avec épaulettes et fouragère. A cette époque les voitures étaient encore rares et le 
corbillard était tirés par des chevaux. Il avait été demandé à Maurice de les tenir par la bride. Un des cheval le mordit à l'épaule, 
emportant épaulette et fouragère, les symboles de la nation. Pas besoin de vous dire qu'il ne fut pas complimenté à son retour à 
Lunéville. Vraiment les rapports qu'il avait avec les chevaux n'étaient pas des meilleurs. 

Le service militaire ce n'était vraiment pas ce qu'il aimait, mais c'est bientôt fini et il pourra enfin revenir à La Chapelle où
sa vie l'attendait. 
Les permissions en cette période de troubles étaient plutôt rares. La France avait besoin de Maurice, Marie devait se débrouiller
seule avec ses vaches et son cochon. La nation avant tout, l'ennemi guettait aux frontières

LA GUERRE

A Lunéville, Maurice se morfondait. Plus de permissions, les doutes sur les Allemands qui étaient capables d'attaquer par surprise 
pour
nous reprendre l'Alsace et la Lorraine. Maurice commencait à devenir un vrai soldat. Le petit polisson à l'oeil espiègle devenait un 
homme. Il ne refusait plus une cigarette, avait appris à ne rien faire et à ne s'intéresser à rien. Il s'était même habitué à la crasse 
de
la caserne qui datait du roi Stanislas, ainsi qu'à la crasse intellectuelle, ne jamais critiquer une décision aussi stupide soit-elle. Pas 
encore un soldat parfait (il ne le serait sûrement jamais), mais un soldat acceptable, utilisable. C'était une journée pluvieuse, comme
tous les jours en cette période. Maurice était allongé sur son "pageot" rêvant les yeux ouverts à cette fille de Chatas avec qui il 
avait
danser et qu'il ne parvenait pas à oublier. Il faut dire qu'elle lui avait fait parvenir une tabatière avec une petite lettre remplie de 
mots gentils. C'est sur après ces "deux années de m...." ils se marieraient, il prendraient un logement, auraient des enfants. Comme sa
mère, ils habiteraient à La Chapelle. D'un coup ses rêves s'interompirent la porte de la chambrée venait de s'ouvrir à grand fracas.
Le sergent aboya "soldat Chaudron le lieutenant veut te voir, grouille toi !". Maurice sauta du lit. Qu'avait il fait ? Ca devait être 
important, le lieutenant, cela n'était pas habituel, il s'attendait au pire. Maman. Il ajusta son pantalon, mit ses croquenots et livide
il se rendit devant la porte du lieutenant. "Entrez !". Le lieutenant le regarda de travers, son accoutrement ne lui plaisait guère et
son regard cachait mal ses pensées. Depuis bien longtemps le caractère du soldat Chaudron, était connu. "j'ai longuement réfléchi et 
après bien des hésitations, je vous donne le grade de Caporal, je sais que vous avez du caractère et que vous serez digne de la 
confiance que l'armée vous porte, rompez".
Le futur caporal Chaudron était bien embarrassé, comment expliquer qu'il avait été choisi pour les commander, lui qui n'avait menés
que des boeufs. Mais on ne refuse pas une nomination.

C'est juste après ce changement de grade, le premier septembre que l'armée allemande attaquaient la Pologne. La ville de Dantzig fut
bombardée, quelques jours plus tard la France et l'Angleterre entraient en guerre. Sur le front de l'ouest il ne se passa rien, laissant
les troupes allemandes entrées à Varsovie. 
Le régiment de Maurice fut transféré en Belgique. Là, on avait demandé aux gens de fuir et de laisser leurs maisons aux "vaillants 
soldats" de la République. Cependant les soldats se comportaient le plus souvent en véritables porcs, ils couchaient habillés dans les
lits que la population avaient laissés, les éperons des bottes déchiraient les draps et les matelas. L'hiver fut rude, et les lits pour les 
gradés, la troupe devait se contenter de dormir par terre, ou au pire dehors sous leur grande capote brune. Ils brulaient les meubles 
et les portes pour alimenter le feu. Afin de donner à boire aux chevaux, il leur fallait casser la glace régulièrement dans les 
abreuvoirs.

Cet hiver 1940, il ne se passait pas grand chose, ce fut la drôle de guerre, les armées se "regardaient", mais aucune n'attaquait. Il 
faut dire que le risque était grand des deux côtés, de gigantesques fortifications les séparaient. Du côté français, la ligne Maginot 
qui aurait fait avoir d'immenses pertes pour les Allemands. C'était un peu comme à Lunéville en pire.

Ce n'était pas encore demain qu'il allait revoir son village et la belle de ses pensées. En rêve, il se voyait partir ramasser les 
pommes de terre de Raymond Feys, ou de la Marie Minaille, une petite bonne femme toute bossue, ou encore rentrer une voiture 
de foin avec Joseph Lallemand. Enfin sa vie comme il la voyait.

Pourtant le 10 mai avant l'aube les avions arrivèrent dans un bruit d'enfer. Ses hommes étaient mal réveillés, mais sous ses ordres ils
détachèrent les chevaux attachés aux arbres. Ce ne fut pas un moment facile, en pleine confusion et dans la nuit et les animaux 
apeurés piaffaient et ruaient en tous sens. Tout le monde avait peur, les bombes éclataient toutes proches, et ensuite les avions 
volaient en rase-mottes afin de mitrailler tout ce qui bougeait. Les hommes pouvaient encore se cacher sans bouger, mais un cheval ? 
Ils faisaient des cibles faciles, pauvres chevaux, pourquoi n'étaient-ils pas restés dans leur Arizona natal. Ils détalaient dans tous 
les sens n'écoutant plus les hommes mais que leur instinct. Le cheval de Maurice fut touché et s'écroula, il n'aurait plus peur. 
Maurice se retrouva cavalier sans cheval, à ce moment là, il reçu l'ordre de se replier derrière la rivière et de se mettre en position. 
Comment aller plus vite que les avions qui tiraient à vue, plus vite que les chars qu'ils entendaient arriver dans un bruit assourdissant. 
C'était la débandade complète, d'autant plus qu'ils devaient traverser une clairière. Personne ne pouvait se cacher, Maurice et les 
autres le savait bien, mais le repli s'imposait, il prévient sa section du danger et de s'y préparer. A l'approche du bois il fut atteint 
à l'épaule par un éclat d'obus qui venait d'éclater derrière eux. A côté de lui son camarade s'écroula, Maurice se pencha sur lui il 
était mort. Il s'empara de son arme et se réfugia avec les survivants dans le bois. Il regroupa ses hommes, les pertes étaient 
énormes beaucoup de leurs amis étaient à quelques mètres d'eux morts. 

Le sergent Chaudron recu les félicitations de ses chefs car il avait eu la présence d'esprit de ramasser l'arme de son compagnon. 
En effet l'arme ne tomberait pas aux mains ennemies. Avec son éclats d'obus dans l'épaule, il reprit le combat, il fallait repousser les
Allemands. Mais ils étaient mieux organisés, mieux armés avec des tanks modernes, donc plus performants. La retraite était 
inévitable,
ce n'était par une armée qui franchissait la frontière, ce n'était que des hommes apeurés, bléssés, hagards, "dépenaillés" qui en fait
ne savaient où aller. Maurice comme les autres marchait comme un automate, ils fuyaient tous l'ennemi. 

C'était le jour de ses 22 ans.

Les villes brûlaient, des voitures étaient dans le fossé éventrées, leurs occupants morts. Les vaches dans les champs meuglaient les 
pis  douloureux. Des corps de personnes civiles jonchaient la route, toutes tombées sous la mitraille des avions ennemis. Chaque pas 
leur offrait une nouvelle vision d'horreur. 
Ils marchèrent pendant des jours prenant le moins de repos possible afin de ne pas se faire rattraper par l'armée allemande qui 
était sur leurs talons. Une seule priorité : sauver sa peau. Dans ce paysage d'apocalypse, Maurice et ses hommes avaient tous oubliés
leur village, leur famille. Exténués, ils arrivèrent devant une sorte d'immense mur gris-bleu. C'était la mer, il la voyait pour la 
première fois. C'est devant la Manche que les Allemands arrivèrent sur leurs motos, et ils furent capturés.

Leur course de près de 300 kilomètres ne leur avait servie à rien. Si ce n'est que perdre des forces, en ne mangeant que ce qu'ils 
pouvaient voler rapidement dans ce qui restait des villages. 

L'armée allemande parquèrent les prisonniers sur la plage. Quelques rouleaux de fils barbelés furent déroulés, ils étaient pris comme
des rats. Maurice connaissait bien le principe pour l'avoir utilisé, à La Chapelle pour des vaches ou des génisses un peu fugueuses, ou 
pour des lapins qui ne voulaient pas rester dans les cages. 
Devant l'offensive allemande, certains Anglais avaient fuis à l'anglaise, se dirigeant en grande partie vers Dunkerque ou beaucoup 
avaient pu prendre le bateau pour retourner dans leur pays. D'autres n'avaient pas eu cette chance et se retrouvaient avec Maurice 
et ses compagnons sur la plage.

Depuis trois semaines la douleur était toujours persistante, il avait toujours l'éclat d'obus dans l'épaule, aucun soin n'avait pu lui 
être apporté et la blessure commençait à puer. Il avait horriblement mal, à ne plus rien ressentir au bras tellement la douleur 
l'envahissait.
Un gardien le repera et l'emmena voir le médecin. En quelques minutes, il écarta la plaie et en sorti le morceau de métal. Cette 
chirurgie avait été faite sans anesthésie, juste avec une sorte de couteau éfilé. Maurice n'avait pas desserré les dents, et avait même 
été surpris de ne plus ressentir ce feu à l'intérieur de l'épaule.

Une fois par jour les prisonniers recevaient un tas de quignons de pain et une citerne d'eau était remplie. Des fosses creusées dans 
le
sable leur servaient de latrines. Beaucoup de prisonnier n'avait que la peau sur les os du fait de la dysentrie.

Un matin des soldats casqués et bottés arrivèrent dans des camions bâchés, encerclèrent le "camp", et à coup de coups de gueule 
et de crosses firent évacuer la plage. Un convoi se forma, les prisonniers Anglais en premier. Il faut dire que des tous les prisonniers 
ils étaient les plus costauds, de vraies "armoires à glace", presque tous blonds ou rouquins. Des forts en gueule aussi, dès les vingt 
premiers kilomètres ils se mirent à chanter "God save the queen". Les Allemands étaient en rage, et frappaient à l'aveuglette dans 
ces gaillards.
L'hymne national reprenait d'abord fredonné, puis de plus en plus fort jusqu'aux coups suivants.
Au moment des ravitaillements c'était les premiers arrivés les premiers servis, les derniers dont faisait parti Maurice de part son 
état n'avaient souvent que les miettes quant il y en avait.

La traversée des Flandres se fit ainsi, en apprenant que ces si bons pelerins, portaient des couvertures rouges pour ne pas se faire 
pilonner par l'offensive allemande avec lesquels ils collaboraient. Ah si on pouvait en tenir un !!!
Puis ce fut la Hollande, quel beau pays ! Malgré la douleur, la faim et la fatigue ce pays redonnait du courage, un endroit où revenir 
après.

Après ! Quel drôle de mot ! Mais là des fleurs partout, alors que l'on sort de la grisaille, quel merveille ! Une terre si fertile, pas 
comme à la Tripouille, cette basse fosse gorgée d'eau, où il faut faire des rigoles pour lui en tirer l'eau. Où la terre, un vrai poil de 
chien, est si pauvre que l'herbe a du mal à pousser. De l'herbe il en faut pour nourrir des lapins, des vaches, une belle race avec des
pis bien gonflés. Maurice était à son affaire avec ses bêtes, accroupi ou sur un siège à trois pieds, la tête contre la patte de la bête.
Après, c'est sur c'est ce qu'il ferait.

Puis ce fut l'Allemagne, l'accueil n'était pas très gai. Les vieux qui avaient fait celle de 1914 les regardaient d'un oeil mauvais. 
Parfois ils parlaient entre eux et l'on pouvait comprendre Versailles, Clémenceau, Verdun, Compiègne. Les prisonniers étaient 
insultés, injuriés, quelques fois même on leur crachait dessus. Lorsque ce fut le tour de Maurice de recevoir ce baiser de haine il 
voulut se précipité sur le petit vieux mais un de ses gardiens le plaqua d'un coup de crosse sur la tête. Le nez ensanglanté, le corps 
en douleur il devait continuer comme les autres. Ils marchèrent ainsi jusqu'au nord de l'Allemagne, au camp de Bocholt. Des 
prisonniers y étaient déjà, des communistes Autrichiens surtout. Des miradors, des clotures de fils barbelés, des Allemands armés
accompagnés de chiens-loups pour faire les rondes, voilà ce qui les attendaient.

Dès leur arrivée les Allemands leur confisqua tous leurs effets personnel, pour Maurice il du laisser la pipe que sa soeur lui avait
offert, son petit porte monnaies, un ouvre boites mais surtout la photo jaunie de sa grand mère revenant du Chéti avec ses deux
chèvres. 

Pas un des nouveaux arrivants ne voulait rester dans cet endroit, et tous envisageaient dans leur tête de s'échapper à la moindre
occasion. La nourriture n'était guère meilleure que celle du Touquet, mais là au moins la "soupe" était chaude -eau chaude dans 
laquelle flottaient quelques morceaux soit de pommes de terre, soit de betterave ou alors du pain qui paraîssait souvent moisi- Elle
réchauffait.
Leurs seules occupations étaient soit de regarder passer sur le canal les péniches pleines de charbon, soit de se pouiller. En effet,
ils étaient infestés de puces, de poux ou de punaises.

Un jour Maurice profita d'un instant pour traverser le canal, mais bien qu'il se mit à courir, le gars sur le mirador l'avait repèré et 
avait donné l'alerte. Peu de temps à près il fut rattrapé et ce fut la "shlag" à grands coups de crosse de toutes parts. Pendant plus
d'une semaine il ne pouvait presque plus marcher. Les Allemands le surveillaient, dans l'état où il était, il ne pouvait pas faire grand
chose. 

Trois semaines plus tard, ils partirent tous pour Wesseling. Ils devaient travailler dans une usine chimique au bord du Rhin. Le travail
consistait à charger des wagons avec une fourche. Maurice ne pouvait plus manger à cause de l'odeur de souffre. Il vomissait tout le
temps. Un soir il se glissa sous un de ces foutus wagons et se cramponna de toutes ses forces pour ne pas glisser sous les roues. Quand
le train s'arrêta se fut à Mayence, seulement les Allemands en armes étaient partout avec leurs chiens. Et bientôt il fut repèrer par
une de ces sacrée bête. A nouveau il fut frappé à coups de crosses et fut reconduit à l'usine dans un piteux état.

Quelques semaines plus tard il décida avec un de ces copains de se faire à nouveau la belle. Ils volèrent des vélos et pédalèrent vers
l'ouest, mais la chance n'était toujours pas avec lui, la police les repèra à quelques kilomètres de la Hollande. Ils savaient tous les
deux ce qui les attendaient. Après quelques jours, le temps qu'ils se remettent des coups reçus, ils furent emmenés à Düren, là on
construisait une autoroute. Il y avait bien vingt centimètres de neige. Ils devaient travailler et n'avaient pour toute nourriture que
des betteraves à moitié gelées. Maurice cru bien pendant cette période qu'il allait mourir.

Un jour les Allemands firent l'appel, puis comme il était Lorrain, il fut mis avec les Alsaciens. Les Allemands avaient besoin de soldats
la guerre avec les Russes venait de commencée. Certains Alsaciens furent presque fiers de partir défendre l'Allemagne, comme celui
qui était prisonnier avec lui et qui lui expliqua que "si l'uniforme est français, le coeur lui, est allemand". Maurice n'en revenait pas,
il l'aurait battu à mort s'il avait pu.
Maurice pu expliquer sa situation, à l'interprète, un gars du Nord,  et comme l'autre était un chic type, il fit en sorte que Maurice 
ne parte pas sur le front de l'est, pretextant son état de santé précaire. 

Quelques jours plus tard, un officier vint discuter avec lui expliqua dans un français impécable que dans quelques jours il allait 
partir pour la Pologne, mais qu'il avait envie de parler un peu avec un Français, car certains de ses aïeux étaient des Hugenots.

Un autre soir un petit bonhomme qui passait tous les jours par là, s'arrêta avec son vélo et entamma bon gré mal gré une discution 
avec Maurice, il lui glissa une pincée de tabac à travers les barbelés. Il y a des types bien partout.

La chance sourit en quelque sorte à Maurice. L'Allemagne "recrutait" des paysans. Maurice fut un des premier sur les rangs. Aussi
il fut envoyé vers Bonn chez un maraicher. Lui était à la guerre, mais sa femme et ses enfants étaient restés avec le père pour faire
le travail, et maintenant ils avaient besoin de bras supplémentaires. Ils avaient besoin de quelqu'un sachant s'occuper d'un cheval, 
sarcler, planter, récolter, enfin pas un feignant. Maurice était leur homme.

Fraü Salm, sa patronne le reçu aimablement et il put reprendre des forces. Tous les soirs après son travail il retournait au camp.

Suivant les saisons, il restait à genoux toute la journée, il semait ou récoltait la mâche, mais il travaillait et était heureux, il s'était
attaché à ces gens simples, qui ne comprenaient pas n'ont plus ce qui arrivait à leur vie.

Leur voisin était marchand de charbon et le fils de ce marchant une force de la nature, il remplissait un sac de 50 kg en quelques 
pelletées. Il partit quelques temps sur le front de l'est et revint avec la Croix de Fer. Maurice disait croix de fer, croix de bois...
Cet Hercule repartit, mais ne revint jamais, sa mère reçu un jour un pli lui annoncant la mort de son fils.

Fin 1944 les bombardements alliés s'intensifiaient. Un matin une bombe toucha la ferme, elle était en feu. Maurice qui était au jardin
à ce moment là couru afin de retirer les enfants et le grand père des décombres.

Quelques temps plus tard les Allemands vinrent le chercher Cologne avait été bombardée et il fallait déblayer les ruines. Ce fut pour
Maurice un moment difficile car sous les éboulis, les corps de malheureux devaient être enlevés.  Il lui était difficile d'identifier quoi
que ce fut car les Anglais avaient largués des bombes au phosphore. Ce n'étaient que des pantins boursoufflés.

Quant il appris que les Américains étaient postés de l'autre côté du Rhin, Maurice ne rentra pas au camp et pris la fuite une nouvelle
fois. Lorsqu'il se présenta au poste des Alliés, il eut beaucoup de mal à se faire comprendre car il parlait plus allemand que français.
Mais après deux semaines il était enfin rentré en France, cela faisait maintenant cinq ans qu'il n'était pas retourné chez lui.
Entre les trains et les voitures il arriva enfin dans les bois qui le menèrent à la maison. De loin il la reconnue et fut soulagé de voir la
fumée sortir.

Quant il poussa la porte sa mère la Marie Muhr le vit, et lui dit seulement "Tu descendras du foin". Il était revenu, il n'y avait rien
d'autre à dire.

A peine cinq minutes après il avait la fourche dans les mains.


Maurice s'est éteint après une vie bien remplie, il était simple et bon.